Matisyahu, chanteur en quête d’identité
Matisyahu, chanteur en quête d’identité
Des cheveux en pagaille légèrement teints en blond, un sweatshirt à capuche et un baggy trop large. Le style vestimentaire de Matisyahu n’a plus grand chose à voir avec celui qu’il adoptait voilà encore quelques mois. Le chanteur américain s’était rendu célèbre pour son appartenance à la communauté juive hassidique. Mais depuis un an et demi, il a changé son look de manière radicale, suscitant des réactions passionnées. En concert à Paris début mars, Matisyahu est venu y défendre son dernier album. Rencontre.
Ça faisait quatre ans qu’il ne s’était pas produit en France. Un spectateur peu scrupuleux, qui n’aurait rien suivi de son parcours durant cette période, aurait sans doute du mal à reconnaître Matisyahu. Finies la barbe et la veste noire, tombée la kippa. L’artiste qui s’est présenté le 10 mars dernier sur la scène du Bataclan tenait plus du hipster new-yorkais que du Juif loubavitch. Un monde semblait séparer le Matisyahu d’aujourd’hui de son avatar orthodoxe, pourtant mieux connu du grand public.
Retour en arrière. Il y a une dizaine d’années, un jeune chanteur américain, du nom de Matthew Miller, attirait l’attention des médias du monde entier. Sa particularité ? Marier avec brio une musique reggae avec des textes fortement imprégnés de références à la Torah et au Talmud. Matthew, qui se fait alors connaître sous le nom hébraïque de Matisyahu, est qui plus est membre du mouvement Chabad, principale branche du judaïsme hassidique contemporain. Il étudie en yeshiva, respecte les règles de la cacherout et ne donne jamais de représentation le chabbat.
Anatomie d’un changement
À l’époque, Matisyahu est considéré comme un baal techouva. Ayant grandi dans une famille de Juifs reconstructionnistes* de Pennsylvanie, il ne se tourne vers le judaïsme orthodoxe qu’à la fin de son adolescence, après un voyage initiatique en Israël. « Vers 20-21 ans, j’ai commencé à m’intéresser à l’identité et à l’histoire juives, se souvient le chanteur. J’ai réfléchi à la meilleure façon d’intégrer ma recherche de sens à ma passion pour le reggae. J’ai alors décidé d’exprimer mon judaïsme de la manière la plus ouverte : je me suis mis à porter une kippa, j’ai laissé pousser ma barbe et j’ai changé d’habits. C’était comme une sorte de mélange entre la spiritualité et la tradition mystique d’un côté et le jeune musicien que j’étais aux Etats-Unis de l’autre. »
Changement de style, mais aussi et surtout de mode de vie. Matisyahu se soumet entièrement à l’idéologie du judaïsme orthodoxe « même si je ne la comprenais pas forcément de manière logique. » Dans le même temps, sa carrière musicale décolle aux Etats-Unis et en Europe, où le phénomène attire autant qu’il fascine. Bientôt, Matthew signe pour le label JDub Records (qui produit également les groupes Balkan Beat Box et Socalled) et remplit les salles de concert. Entre 2004 et 2011, il enregistre six albums, certaines de ses chansons, comme « King Without a Crown », « Jerusalem » ou « One Day », accédant au statut de hit international.
Album après album, tournée après tournée, le public s’habitue et s’attache au personnage, par ailleurs encensé par la critique musicale. Mais en décembre 2011, Matisyahu surprend tout le monde en postant sur Twitter une photo de lui, où il apparaît rasé, un téléphone portable à la main. Dans un message accompagnant le cliché, l’artiste explique ne plus vouloir s’enfermer dans une image qui ne lui correspond pas et lance à ses fans : « Préparez-vous à une année exceptionnelle, emplie d’une musique de renaissance. »
Des réactions mitigées
La décision provoque une vive émotion et divise son public, particulièrement ses admirateurs juifs. Si certains comprennent le choix du chanteur et son parcours identitaire sinusoïdal, beaucoup éprouvent un sentiment de trahison. Les réactions les plus virulentes à son encontre, qui lui reprochent d’abandonner son rôle de modèle et de réconciliateur entre tradition et modernité, ont affecté Matisyahu. Pour autant, il n’entend pas se justifier et encore moins se repentir. « Je ne représente personne, estime le jeune homme. Des Juifs orthodoxes ont estimé que je les avais trahis, mais ce n’est pas le cas. Chacun fait ce qui lui semble juste. À un moment donné, je me suis senti enfermé dans un costume qui n’était plus le mien : j’avais besoin de reprendre le cours de ma vie et de prendre mes propres décisions. »
Le chanteur critique aussi ceux qui ne jurent que par l’apparence. « Certains artistes sont liés à une image : Bob Marley et ses dreadlocks, Matisyahu et sa barbe… Mais l’essentiel n’est pas là, soutient-il. Au contraire, cela devrait être un rappel que ce n’est pas une question de style, mais d’abord et avant tout de musique. »
Le judaïsme, éternelle source d’inspiration
La musique justement, Matisyahu entend bien continuer à en faire. Il a achevé sa tournée européenne mi-mars, après être notamment passé par l’Allemagne, la Belgique, l’Angleterre, la Hollande, la Russie et donc, la France. Lors de son concert au Bataclan, le chanteur a renoué avec un rituel abandonné depuis quelques années : le bain de foule. En plein milieu d’une chanson, il a ainsi plongé dans la fosse, se laissant transporter d’un bout à l’autre de la salle par des centaines de bras étrangers…
Dans son nouvel album, « Spark Seeker » (« Chercheur d’étincelle »), produit par Kool Kojak (également producteur de Kesha et Nicki Minaj), Matisyahu s’oriente vers des sonorités plus pops et moins reggaes qu’auparavant. Sans pour autant abandonner ses références au judaïsme qui reste « une source d’inspiration majeure. » Il suffit de jeter un œil aux titres plus qu’évocateurs des chansons pour s’en convaincre : « Searchin’ », « Bal Shem Tov», « King Crown of Judah »… « Je parle toujours de religion et de spiritualité, confirme Matisyahu. Ce n’est peut-être pas aussi évident pour les gens s’ils restent à la surface. Mais quiconque écoute vraiment mon album se rendra compte qu’il y a de la profondeur. »
A 33 ans, Matisyahu trace sa route. Peut-être pas aussi sereinement qu’il veut parfois s’en donner l’air, mais sans jamais cacher ses doutes et ses interrogations sur son identité. « J’évolue de jour en jour. C’est important de continuer à grandir », conclut-il sur un sourire énigmatique.
* Branche du judaïsme fondée par le rabbin Mordechai Kaplan dans les années 20 et essentiellement présente aux Etats-Unis depuis la fin des années 60. Les Juifs reconstructionnistes prônent une approche ouverte de la modernité et accordent une importance fondamentale aux valeurs culturelles de la religion.