Entretien

We Art NY : visages et messages de survivants

We Art NY : visages et messages de survivants

Interview de Nissim Sellam et Yoram Salamon

Deux artistes vivant en Israël, Nissim Sellam et Yoram Salamon, avec le projet « We Art NY » (N pour Nissim, Y pour Yoram) ont décidé de sortir de la démarche artistique habituelle pour travailler de manière plus transversale sur l’Histoire et la Mémoire. Leur parti pris : photographier les survivants. Avant que ces derniers ne disparaissent, ils veulent leur rendre hommage. Leur travail sera exposé 11/09 prochain….

Interpellé par une démarche originale et novatrice, Tohu Bohu est allé à leur rencontre…

Tohu Bohu : Pouvez-vous nous présenter le projet “We Art NY”, sa genèse, et la vision que vous en avez?

Yoram et Nissim : We Art NY est le fruit de la rencontre entre deux artistes franco-israéliens, amis dans la vie, et qui désiraient travailler ensemble depuis de nombreuses années.

Nous avions déjà travaillé chacun à notre manière sur Israël, le conflit, la société, les Juifs, et depuis quelques mois, nous cherchions à nous focaliser sur ce qui unissait les hommes plutôt que ce qui les séparait. Nous avions déjà mis en place le projet Unwall, qui avait vocation à montrer qu’Israël n’est pas réductible à un mur de séparation. Et puis nous nous sommes dit que, pour pouvoir parler de ce qui nous relie, on devait dire quelque chose de ce qui ne doit pas être oublié. L’un ne va pas sans l’autre. Tout naturellement, nous sommes donc arrivés à cette nécessité de travailler sur le « Devoir de Mémoire ». La conscience de vivre dans une époque, d’être certainement la dernière génération au cours de laquelle nous pouvons encore parler à des survivants de la Shoah. L’idée de rencontrer ces hommes et ces femmes, d’avoir le privilège de les interviewer et de les photographier, est devenue une nécessité spirituelle.

TB : L’objectif, c’est la transmission? Qu’avez-vous envie de transmettre? A qui?

Y&N : Le premier objectif est effectivement la transmission. Notre première photo, qui nous sert de fil conducteur, s’intitule « Jew suis un Phénix », et métaphorise l’idée de transmission, avec un rescapé de la Shoah serrant affectueusement la main d’un enfant, qui pourrait être son petit-fils. Notre démarche se comprend dès cette première photo. Il s’agit d’une sorte de scénarisation visant à mettre en valeur un sentiment, celui du rescapé. Plus de 70 ans après, chacune de ces personnes est emprunte de sentiments forts, traces de leur vécu. Chez Moshé Haelion, « le besoin de transmission » était très fort, très marqué, et de manière naturelle, le choix du thème de la photo s’est imposé.

Mais la transmission n’est pas notre seul objectif. Par exemple, un autre survivant, Gabriel, enfant caché pendant la guerre, manifestait une forte rage. A travers son récit, on sentait encore aujourd’hui ce besoin d’en découdre, la colère… Chacune de nos rencontres nous amène à mettre en valeur des sentiments ou comportements très différents : l’oubli, le déni, le pardon, l’amour, l’ambiguïté, le courage…

Ces thèmes traverseront l’exposition et permettront de décliner la mémoire selon les différents sentiments qu’elle inspire. Nous, jeunes ou moins jeunes, qui n’avons pas connu les camps, les atrocités de la Shoah, nos sentiments sont souvent limités à la colère, l’injustice, l’incompréhension… mais le ressenti des survivants de la Shoah est bien souvent plus complexe et plus large que cela. Et sans la compréhension de ces ressentis, il ne peut y avoir à notre sens un réel travail de transmission. Notre travail permettra, nous l’espérons, d’offrir des clés de compréhension à tous, Juifs et non Juifs, pour recevoir la mémoire que les survivants transmettent.

Enfin, le troisième objectif, c’est de rendre hommage. Ces hommes et femmes qui non seulement ont survécu à leur assassinat planifié, ont fait un véritable pied-de-nez à ceux qui ont voulu faire disparaître les Juifs de la planète, par leur survie et leur descendance. Comme un pied-de-nez à l’Histoire : avoir osé non seulement ne pas mourir mais aussi devenir plus forts, plus nombreux, et avoir du succès. Une des photos mettra en scène cet «affront»…

TB : Pourquoi vous-intéressez-vous en particulier aux survivants?

Y&N : Nous sommes la dernière génération à parler à ces gens de leurs vivants. Nos enfants lirons l’histoire dans les livres. Il est important aujourd’hui de parler avec eux tant qu’ils sont là, d’écouter chacune de leurs histoires et de la raconter à notre manière, à ceux qui seront là après et qui représentent l’avenir.

TB : En quoi pensez-vous que la photographie peut apporter quelque chose au travail de mémoire? D’autant que, en général, on s’intéresse plutôt à la parole, au témoignage des survivants…

Y&N : La photo fait travailler l’imaginaire et la réflexion de celui qui la regarde, la décrypte. Une vidéo, une bande sonore vont amener de l’information et provoquer des sentiments soudains de manière beaucoup plus intrusive qu’une photo qui laissera une marge de manoeuvre à l’interprétation, l’appropriation par celui qui la regarde.

Mais il ne s’agit pas seulement de photographie.  A la photographie, nous allions un travail textuel et graphique qui viendra soutenir le message que nous voulons faire passer. Sur la photo « Jew suis un Phénix », la phrase vient souligner de manière extrêmement forte l’idée soutenue par la photo.

Par ailleurs, nous ne rencontrons jamais sèchement les personnes que nous photographions. Avant de prendre la photo, nous installons un climat de confiance et d’intimité dans lequel elles nous racontent leur histoire, et nous permettent de nous transporter dans leur vie, de ressentir le maximum de ce qu’elles ressentent. Chaque rencontre est enregistrée sur un support sonore, et ce sont ces moments dont nous nous servons pour penser le travail textuel sur chaque photo.

Tohu Bohu : Que vous inspirent les similitudes entre votre projet et la photo que Cyrus Atory a réalisée de Walter Spitzer (en PJ) pour Tohu Bohu?

Y&N : A vrai dire, il y a des similitudes sur la forme, dans la manière dont nous voulons travailler les portraits et dont nous voyons l’expression de certains des visages. Cette photo dégage une expression de sérénité, de douceur…

Tohu Bohu : Quelles sont les suites du projet, et où/quand pourrons-nous voir l’expo?

Y&N : L’inauguration de l’expo israélienne a été fixé au 11 Septembre. Cette date est importante, non seulement parce que « We Art NY » porte dans son nom l’ambiguité nécessaire avec la ville de NY, et que la date et le lieu nous rappellent forcément à cette catastrophe, qui a précipité un reflexe conspirationniste et antisémite…

L’exposition initiale se tiendra donc à Tel Aviv, mais il s’agir pour nous avant tout d’une exposition itinérante. Nous sommes en train de nouer des contacts pour qu’elle puisse être accueillie dans les grandes capitales occidentales (Paris, Londres, Bruxelles, New-York, Moscou…), dans lesquelles ressurgissent aujourd’hui les vieux démons d’autrefois, et les symptômes extrêmement visibles d’une nouvelle vague d’antisémitisme à peine larvé, et presque totalement assumé. Nous espérons aussi pouvoir exposer dans des pays arabes….

Nos portraits ont vocation a être tirés sur des très grands formats (3×2 m voire plus), et pourront être visibles parfois dans la rue si certaines des municipalités avec lesquelles nous travaillerons nous permettent d’investir l’espace public. C’est de cette façon que nous espérons aussi susciter l’attention d’un public très large.

A propos de Nissim Sellam et Yoram Salamon

Nissim est photographe, directeur artistique chez Publicis. Yoram est créatif, Directeur Marketing de Partirenisrael.com (et Chef Spirituel de Streetisrael).

Nissim a exposé il y a 1 an « Eye of the Beholder » qui a reçu un accueil très positif. Certaines de ses photos ont déjà attiré l’attention de beaucoup de professionnels du métier, et le public est de plus en plus réceptif au travail de ce photographe dont la sensibilité est à vif.

Quant à Yoram il se définit comme un créatif qui fait de l’art, et a aussi exposé il y’a 2 ans à Yaffo : « Les concepts (f)utiles » . Idem, l’expo a reçu un excellent accueil, et les thématiques explorées ont su toucher un public qui ne connaissait pas l’artiste.

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