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Compte-rendu : UN Watch au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU

Compte-rendu : UN Watch au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU

Genève: L’universalisme à l’épreuve.

Nées au sortir du second conflit mondial, l’Organisation des Nations-Unies a été créée avec cette sublime idée que donner la possibilité aux États du monde de coopérer dans un cénacle créé à cet effet préviendrait les guerres et empêcherait des horreurs, telles que celle de la Shoah, de se reproduire. Une des premières grandes décisions adoptée fut la reconnaissance de l’Etat d’Israël en mai 1949. Ainsi l’Etat juif, défini comme tel plus de trente fois dans la résolution établissant sa création, associait aussi sa naissance à celle des Nations-Unies. Le destin d’Israël, des Juifs, et des Nations-Unies étaient historiquement liés et la bonne coopération allait de soi.

Pourtant, l’évolution de la Commission des droits de l’Homme1 des Nations Unies, marquée par l’intégration de nombreuses dictatures, jusqu’à l’accession de la Libye à la présidence en 2003, a rapidement abouti à une extrême politisation et à un biais systématique à l’encontre d’Israël. Ceci avait d’ailleurs conduit l’ancien Secrétaire Général des Nations-Unies Kofi Annan à lancer, en 2006, une réforme visant à corriger les défauts d’impartialité de cette instance. La Commission des droits de l’Homme a alors été transformée en Conseil des droits de l’Homme mais l’essentiel n’a pu être changé puisque la règle de la majorité et la nécessité d’atteindre le consensus prévalent toujours en dernier lieu et auront constitué ici le principal frein à tout changement significatif.

Ainsi, certaines violations graves des droits de l’Homme dans certaines régions du monde demeurent peu ou non traitées par le Conseil tandis qu’Israël est l’objet d’un traitement particulièrement arbitraire.

C’est de cet universalisme à deux vitesses dont nous – la vingtaine d’étudiants européens sélectionnés par l’Union Européenne des Etudiants Juifs (EUJS) pour participer au séminaire organisé auprès du Conseil des droits de l’Homme à Genève du 17 au 21 mars dernier – pouvons désormais témoigner.

Œillères sur de grandes dictatures

Ouvrir l’œil sur les oublis et les défaillances du Conseil des droits de l’Homme à Genève, c’est très exactement l’action menée par UN Watch, dont nous avons eu l’occasion de rencontrer l’incroyable directeur, Hillel Neuer. Il s’agit d’une des rares organisations à Genève où l’on élève la voix pour dénoncer l’esclavage en Mauritanie, le traitement des opposants politiques à Cuba, les exactions des camps de Corée du Nord, le cas de la Chine et du Tibet, ou la poursuite de la guerre et des massacres au Soudan. Le Conseil lui, prisonnier de ses pays-membres dont la majorité est constituée des auteurs-mêmes de ces violations, continue à garder le silence.

Sur le cas précis du Soudan, nous avons eu la chance de nous entretenir avec le Docteur Mukesh Kapila, aujourd’hui Représentant Spécial pour Aegis Trust, une organisation non-gouvernementale de prévention des crimes contre l’Humanité. Le récit très personnel de son expérience et son exposé sur la situation actuelle au Soudan ont été une vraie leçon d’humilité et d’humanité, la prise de conscience des choix, des limites, et des stratégies à adopter pour défendre une cause en dépit du caractère souvent cynique du jeu diplomatique. Face au silence assourdissant de la communauté internationale, Mukesh Kapila avait décidé en mars 2004 d’exprimer publiquement l’urgence de la crise humanitaire au Darfour en offrant une interview exclusive à la BBC. Par cet acte subversif-là, il signait aussi la démission du poste prestigieux qu’il occupait à l’époque, celui d’Envoyé Spécial des Nations-Unies au Soudan. Entre 2003 et 2007, le nombre de victimes causées par le génocide au Darfour est estimé à deux millions. Lors de la 61ème session (2006-2007) de l’Assemblée

 

!1 créée dès 1946

Générale des Nations-Unies, pas une seule résolution n’est adoptée pour le condamner tandis que vingt-deux résolutions sont votées pour condamner Israël. Il ne s’agit pas de dire que les violations des droits de l’Homme en Israël, s’il en était à ce moment-là, n’auraient pas du être examinées, mais de cette différence honteuse de traitement transparaît de manière assez claire le sens des priorités souvent donné aux Nations-Unies en matière de défense des droits de l’Homme.

Zoom sur une petite démocratie, Israël.

Tous les pays-membres des Nations-Unies sont divisés en cinq groupes géopolitiques2. Ils servent à la distribution des postes au sein des différents comités de l’Assemblée Générale, à la formation de blocs dans certaines négociations, et plus généralement à la diffusion des informations internes au fonctionnement des Nations-Unies. Or Israël est le seul pays au monde dont l’accès à un groupe a toujours été refusé. L’année dernière seulement, Israël a réussi à intégrer le groupe « Europe occidentale et autres » aux Nations-Unies à New York mais elle demeure au banc des Nations à Genève, au sens littéral et géographique. Les travaux du Conseil des droits de l’Homme sont répartis selon dix thématiques différentes au sein desquelles les résolutions sont débattues. Depuis 1965, Israël est l’unique pays-membre constituant à lui seul un “thème”, en dépit de l’existence d’un autre thème entièrement dédié à l’examen de la situation des droits de l’Homme par pays. Les résolutions condamnant Israël constituent ainsi la moitié du total des résolutions « pays » votées par le Conseil. Différents experts sont nommés pour se consacrer à l’analyse d’une situation particulière et à la préparation des différents rapports.

Depuis 2008, le Rapporteur Spécial désigné pour traiter la question palestinienne n’est autre que Richard Falk, un adepte des théories conspirationnistes concernant le 11 septembre et un soutien ouvert au Hamas, dont même l’Autorité Palestinienne avait secrètement demandé la démission. Ainsi, la démesure à l’encontre d’Israël n’aide pas les Palestiniens eux-mêmes dans la défense de leurs droits. Ils sont brandis comme un chiffon rouge pour draper dans de beaux sentiments le discours antisioniste de certains États et utilisés comme écran de fumée par ceux qui souhaitent dissimuler la situation des droits de l’Homme dans leur propre pays.

 

Pour toutes ces raisons, Israël a décidé l’année dernière de boycotter les activités du Conseil. Valait- il mieux continuer à faire pression de l’intérieur? Chaque stratégie se défend mais d’après l’entretien que nous a accordé l’Ambassadeur d’Israël à Genève, Mr Aviatar Manor, il semble peu probable qu’Israël regagne les bancs du Conseil sans qu’au moins un pas, l’intégration à un groupe régional par exemple, ne soit fait en sa direction.

Il y a donc bien un universalisme à Genève mais il offre un miroir déformé de la situation des droits de l’Homme dans le monde et constitue le sombre reflet de l’opinion majoritaire de ses membres. Les représentants allemands, français et américains que nous avons rencontrés nous ont ainsi laissé entendre que leur marge de manœuvre était bornée aux règles de fonctionnement (consensus) et à la composition du Conseil (à majorité anti-occidentale). Habile dédouanement diplomatique ou triste réalité, c’est la réponse qui nous a été donnée. Elle doit encourager la société civile à continuer d’exercer la pression nécessaire pour dénouer, comme elle sait si bien le faire, la part de mauvaise volonté de ce qui pourrait et devrait être changé. Il en va de la crédibilité et de la légitimité du Conseil des droits de l’Homme car ce sont ses propres principes fondateurs qu’il trahit: l’impartialité, l’objectivité, la non-sélectivité et l’universalité.

!2 Afrique, Europe de l’Est, Asie-Pacifique, Amérique latine et Caraïbes, Europe occidentale et autres

 

Anne-Sophie Sebban, doctorante en géopolitique.